A la mort de son beau frère, Suzy a eu peur. Pas de l'immense gouffre de chagrin dans lequel sa sœur venait d'être précipitée, pas des grands yeux perdus de Juliette qui regardait, autour d'elle, les adultes détruits. Elle avait peur d'elle-même, de cette fugace, très fugace pensée, une impression de soulagement. Pendant quelques millisecondes elle avait vu tout revenir comme avant. Sa sœur et elle dans leur complicité, leur intimité de jumelles, comme avant. Depuis, elle voulait chasser cette horreur de sa tête. Chaque nuit, dans ce lit qu'elle n'avait jamais su partager, elle se fustigeait d'être aussi dépendante de sa gémellité.
Dans les premiers mois sa sœur avait reçu ses bras comme le refuge naturel où elle pourrait se reconstruire et Suzy se forcée à ouvrir le monde autour d'elle. Les jours d'éclats de rire, Juliette disait, « j'ai deux mamans, sauf que l'autre, elle a les cheveux courts ». Les jours de larme, la télé se taisait et les lampes de chevet ne s'éteignaient jamais.
Les hommes, les jolis cœurs avaient tout essayé. Leurs rodomontades autour des jumelles amusaient le quartier. Petit à petit les invitations s'individualisaient. Suzy acceptait le cinéma, le théâtre ou le restaurant que sa sœur refusait pour ne pas laisser seule Juliette.
- Je sais que ça fait mal à entendre mais il faut vivre, tu sais. Je ne demande pas de l'oublier, je te demande de vivre.
- Mais je vis
- Non là, tu survis avec des souvenirs, des images, avec le passé
- Oui, et bien moi, au moins, j'en ai un, passé
- …..
- Non, excuse-moi, je dis n'importe quoi mais comprends que je n'ai pas envie de tous ces gugusses qui veulent se taper la veuve. Je ne suis pas disposée à supporter leur cinéma.
- Tu préfères les œillades timides de ce gros lourdaud de Robert. Le don juan en bétaillère.
- Robert, au moins, quand il me parle, je n'ai pas l'impression qu'il achète sa place dans mon lit, lui. Il m'emmène au marché sans prendre mon genou pour le levier de vitesse, lui.
- Ah, ça non, il ne risque pas de t'offenser. Il doit te prendre pour la sainte vierge ou la Joconde mais, tu as raison, celui là, c'est un amour.
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