Maintenant que j'y pense...

Ficus

Avant, j'étais ficus.
Avant, dans un autre vie, comme on dit.
Ficus à Luxor, en Egypte, le long du Nil.
Pas un ficus comme chez vous, dans un pot entre la télé et le lampadaire, non un arbre, un vrai, avec un tronc, des branches, des feuilles et des racines qui vont loin chercher l'eau et le reste. Huit mètres de haut, six de large.
C'était il y a  longtemps.
Ils construisaient Karnac. D'Assouant, les barges descendaient  d'énormes blocs que les esclaves roulaient jusqu'au temple.
J'ai vu couler le Nil, je l'ai vu déborder, me grimper jusqu'aux branches. Je l'ai vu me nourrir d'alluvions riches et gras. J'ai vu des femmes fleurs s'y baigner presque nues avec leurs enfants bruns qui leur mangeaient le sein. j'ai vu mourrir le dernier pharaon. J'ai vu passer l'anglais, imposer sa culture. Les baigneuses servaient le Thé la tête basse, le pas pressé. Puis un jour je suis mort, abattu à la hache pour faire un quai au fleuve, une rue aux autos.
Aujourd'hui, allongé sur mon canapé rose, je regarde l'arbuste  penché vers la fenêtre. Je ne crois pas, biensûr, à mes divagations mais j'aime malgrès moi carresser son feuillage comme si nous avions lui et moi une histoire, une intimité que seuls nous connaissions.
Je perçois vos sourires, vos murmures narquois.
Amoureux d'une plante, non mais,
N'IMPORTE QUOI !!

1930

Tu sortais de chez Chagall
Je sortais de chez Magritte.
Sur le trottoir d'en face il te sifflait Froufrou
Il avait le chapeau
Au volant de sa Ford Modèle A
Il jouait les Capone
Il avait le cigare.
Je te regardais rire
Faire des minauderies
Dans ta "flapper dress".
Chagall était bien loin
Avec ses "Promeneurs".
Tu ne voyais que lui
Dans son automobile.
Magritte me donnait
Son chapeau à tenir
Sa pipe qui fumait
Te faisait disparaître
C'était Paris
Juillet 1930
Dans la TSF
Suzy Delair
Chantait Frou Frou
Elle aussi
Ta robe courte
Flottait joyeusement
Vers ton Tex Avery

Laverie

La portière a claqué sur son sourire.
Il reste là sur le trottoir avec un numero de téléphone sur le dos de la main.
Trois mots raisonnent dans sa tête "appelle-moi vite".
Quelle belle image de cinema, hein ?
Un homme, seul sur un trotoir, un soir de pluie, regardant partir un taxi.
J'entend les violons.
Si, j'osais, je ferais passer un voiture pour éclabousser le bas de son pantalon.
Il ne pleure pas, non, il est surpris.
Demie heure avant, il est assis dans une laverie automatique. Il regarde son linge tourner dans le séchoir.
A coté de lui, pour passer le temps, une femme joue au sudoku. Elle ne regarde rien d'autre que son journal et le programmateur de sa machine.
Pas un geste vers lui.
Elle semble seule.
Lui l'observe et cherche une solution, un chiffre à proposer pour l'aider dans son jeu et, de fait, entamer une conversation.
Mais rien.
Décidement il ne comprendra jamais rien à ces carrés chiffrés.
Elle, elle écrit, elle gomme, sourit sur sa revue.
Il lui semble être transparent tellement elle l'ignore.
Il ne lui en veut pas.
Il se résout à son insignifiance.
Il regarde la rue à travers les lettres de la vitrine.
La nuit est tombée.
Les néons publcitaires maquillent de jaune et de bleu les voitures mouillées. En face, dans le bar, un homme gesticule seul devant un garçon absorbé par le journal télévisé.
PPDA fait ses yeux de cocker.
Au même moment deux essoreuses entament la fin de cycle. Ensemble, ils regardent les machines.
"C'est bientôt fini" dit-elle en se tournant vers lui.
Il sourit est baisse la tête comme un enfant timide
Trois minutes encore pour ouvrir le séchoir.
Silencieusement côte à côte, ils entassent leur linge dans de grands sacs de super marché.
Non elle, elle le plie consciencieusement avant de déposer avec autant de précision  dans le sac.
Elle sort devant lui.
Il lui dit "Permettez"
Elle le regarde et dit "Merci" en lui confiant son sac.
Il dit "Le bus?"
Elle dit "Non taxi"
Ils s"arretent sur le bord du trottoir.
Elle fouille dans son sac, en sort un stylo, lui prend la main gauche et le griffe d'un numéro de portable.
Le taxi arrive, elle ouvre la porte jette son sac, s'assoie et dit en souriant, "appelle-moi vite". La porte claque.
Le taxi s'en va.
Non, non,
Je n'ai jamais appelé.

Je suis en panne

Je suis en panne sur le bord de ma route.
Les mots se sont vidés quelque part, dans un regard d'égout.
Il me reste les blancs qu' on met entre les phrases
Qui lui parlaient d'amour et qui l'ont tant déçue.

Je regarde la feuille et mes doigts immobiles
Je regarde les arbres et le chat endormi.
Je regarde ce rien occupant mon cerveau.

je suis en panne, là
Et ce que tu prends, toi, pour de l'indifférence
N'est que la pauvreté d'un esprit endormi.

Attend moi, si tu peux, ou continue ta route
Mais ne crois surtout pas que tu n'existes plus.
Je rage de n'avoir que si peu à te dire
Quand tu mérite tant
Quand tu mérite mieux

Oh, que je t'aime

Entre mon cœur et
Ma langue, il y avait
Des rivières infranchissables,
Des passages à niveau fermés.
J'ai dû déblayer des montagnes et des montagnes de sable
Pour une parcelle de vérité
Mais ce soir les barrières se brisent, le silence aussi.
Ce soir, enfin, les mots s'envolent.
Il n'existe aucune différence.
Oh, je t'aime !
Ca y est, j'te l'ai dit,
Entre mon âme et mes paroles
Et j'dédicace à celle que j'aime
Ces chansons qui n'viennent
Pas d'n'importe où
Mais du fond de mon vrai moi-méme
Oh, je t'aime, j'te l'ai dit.
J'vais jusqu'au bout
Et je pose, comme un diadème
Sur son front, des phrases
Mises bout à bout.
Chaque lettre est une perle rare.
Je les accroche autour de ton cou.
Traversant les rivières qui les arrêtaient,
Franchissant l'infranchissable,
Tous ces passages à niveau fermés,
Surgissant au grand jour enfin de mon moi véritable,
Les voici, ces mots vérité.
Même si ce n'est qu'une petite parcelle d'un
Amour infini,
Un p'tit morceau invisible,
Deux simples syllabes et nous sommes
Oh, je t'aime !
Ca y est, j'te l'ai dit,
De toute éternité l'indivisible
Et j'dédicace à celle que j'aime
Ces chansons qui n'viennent
Pas d'n'importe où
Mais du fond de mon vrai moi-même.
Oh, je t'aime, j'te l'ai dit.
J'vais jusqu'au bout
Et je pose, comme un diadème
Sur son front, des phrases
Mises bout à bout.
Chaque lettre est une pierre précieuse.
Je les accroche autour de ton cou.
Et j'dédicace à celle que j'aime
Ces chansons qui m'viennent Tout à coup.

M.Jonas

Elle me plaisait

Elle me plaisait quand elle mangeait des cornichons au vinaigre en puisant avec les doigts dans un gros pot que lui avait donné sa grand mère.
Elle me plaisait avec ses longs cheveux qui lui mangeaient le visage. Elle s'était instalée dans la révolte permanente jusque dans l'intilité. Tremper des tartines de camenbert dans le thé au jasmin, punir une araignée qui torturait une mouche en l'emprisonant cinq minute sous un verre, "Pas plus parce qu'il ne faut pas exagérer", ne jamais faire l'amour au lit, ne jamais dire je t'aime, ne jamais, ne jamais, ne jamais.
J'avais vingt ans.
Elle criait partout que nous ne mourrions pas. Elle jetait des fleurs en passant sur le pont qui enjambe le cimetière en mururant "Ne nous attendez pas".
J'avais vingt ans, un jour.
Le marchant de  pizzas nous donnait des olives en plus. Nous mangions sur un banc entourés de pigeons à qui nous donnions le carton.
Nous courrions sur les quais du métro à Concorde en se faisant semblant d'être préssés.
J'avais vingt ans, biensûr.
Elle me plaisait.
Je peignais des escaliers sur de petites toiles et des nus accroupis quand elle voulait poser. Elle avait l'insolence de me dire "peint moi" dans des poses lassives qui me disaient "prend moi".
J'avais vint ans, après.

Il lui à dit "tu viens ?"

Elle m'a dit "je pars"

Je n'ai rien dit, je ne sais pas

Elle m'écrivait "Pardon, je suis heureuse comme avec toi".

Elle file la vie

Peine perdue
Bonheur trouvé
Elle file la vie

Tu me souris de l'oeil
Tu caresse ma joue
Elle file la vie

Tu souffles des douceurs
Tu coules ta langueur
Elle file la vie

Tu me reçois
Tu me demandes
Elle file la vie

Comment fais tu
Quand tu te donnes
Quand tu me donnes
Comment fais tu
mon bel amour
Pour arrêter le temps
Et me faire oublier
Qu'elle file la vie
Qu'elle file la vie

La neige

Aujourd'hui, jour de repos, après un week end de travail fait de tensions, d'émotions, de malaises à prévenir ou à calmer.
Je me lève de bonne heure, ouvre la fenêtre et Plouff, la neige partout , bien épaisse comme je l'aime quand je suis à la montagne avec des skis aux pieds. Là, c'est de la neige citadine qui devient, très  vite, une bouillasse grise et sournoise au contact de l'homme et de ses outils. C'est bien connu, l'homme salit tout ce qu'il touche. Regardez la nature......
Pourtant, dans le jardin voisin, il y a déja un bohomme de neige et des enfants qui s'affairent à lui faire un royaume. Le monsieur du 18, le mari de raymonde, leur donne des conseil pour lui "faire les yeux". Le père fait tomber la neige de la tonnelle et du mimosa qui manquent de ceder. Le facteur en , riant, dit qu'il nous amène les nouvelles fraîches.
La neige, quoi qu'on fasse nous ramène toujours pendans quelques secondes vers cette part d'enfance où nichent la magie et le merveilleux. Je n'ai jamais réussi, même dans les plus tristes moments à être vraiment contrarié par la neige.

Les poêtes

Ce sont de drôl's de typ's qui vivent de leur plume
Ou qui ne vivent pas c'est selon la saison
Ce sont de drôl's de typ's qui traversent la brume
Avec des pas d'oiseaux sous l'aile des chansons

Leur âme est en carafe sous les ponts de la Seine
Les sous dans les bouquins qu'ils n'ont jamais vendus
Leur femme est quelque part au bout d'une rengaine
Qui nous parle d'amour et de fruit défendu

Ils mettent des couleurs sur le gris des pavés
Quand ils marchent dessus ils se croient sur la mer
Ils mettent des rubans autour de l'alphabet
Et sortent dans la rue leurs mots pour prendre l'air

Ils ont des chiens parfois compagnons de misère
Et qui lèchent leurs mains de plume et d'amitié
Avec dans le museau la fidèle lumière
Qui les conduit vers les pays d'absurdité

Ce sont des drôl's de typ's qui regardent les fleurs
Et qui voient dans leurs plis des sourires de femme
Ce sont de drôl's de typ's qui chantent le malheur
Sur les pianos du cœur et les violons de l'âme

Leurs bras tout déplumés se souviennent des ailes
Que la littérature accrochera plus tard
A leur spectre gelé au-dessus des poubelles
Où remourront leurs vers comme un effet de l'Art

Ils marchent dans l'azur la tête dans les villes
Et savent s'arrêter pour bénir les chevaux
Ils marchent dans l'horreur la tête dans des îles
Où n'abordent jamais les âmes des bourreaux

Ils ont des paradis que l'on dit d'artifice
Et l'on met en prison leurs quatrains de dix sous
Comme si l'on mettait aux fers un édifice
Sous prétexte que les bourgeois sont dans l'égout ...

Léo Ferré

Donne moi un caillou

Cache moi  tes fleurs
Cache moi  ta rose.
Donne moi un caillou
En guise de baiser

Dis moi, la belle,
Que je n'ai plus dix ans.
Dis moi que je suis grand,
Que mon père est parti
Maintenant pour toujours.
Donne moi des chagrins.
Parle moi des soupirs
Que je n'entendrai plus.

Dis moi que ce n'est rien
Ces mots que tu sussure.
Dis moi que tu passais,
Que ce n'est que ton ombre.

Dis moi que ce n'est rien.

J'aime trop tes douceurs
Pour encore les perdre.
Donne moi un caillou
En guise de baiser.