"Tu vois, mon Raymond, je n'ai pas eu le cœur de te le dire de vive voix mais, je pars.
Je sais ce que tu m'aurais dit :"à soixante ans, c'est plus l'heure".
Je sais mais je m'en fous.
C'est ce départ là ou un autre beaucoup plus triste et je ne veux pas te faire de peine. Hier, je suis allé à la gare et j'ai demandé un billet pour le Nord. Le type m'a regardé comme un fou. Il a dit" le Nord ? Pour où, dans le Nord ? J'ai dit Maubeuge. Je ne sais pas pourquoi. Peut être à cause de Bourvil. Tu sais, le clair de lune.
Voilà je pars. Je te laisse. Continue les parties de boules, l'apéro. Moi, je verrai bien, là bas. J'ai quatre sous devant moi pour me trouver un studio puis je vendrai la maison. Elle ne vaut plus rien depuis que Line nous a laissés. Moi, je te laisse cette lettre dans la boite pour que tu ne t'inquiète pas. Je t'écrirai pour te dire de mes nouvelles.
Je vais bien depuis que j'ai décidé ça.
Ne m'en veux pas mais je reste ton ami. Comprend que c'est trop dur de la savoir sous la pierre, de passer tous les jours devant. Dans le Nord tout sera différent, le paysage, le climat, les gens. Il faudra que je me force à faire autres choses que mon petit et triste train-train…"
Raymond lisait et relisait ces mots griffonnés, jetés sur un papier d'occasion. Il avait l'impression de lire une lettre trouvée au pied d'un pendu. Il s'est assis sur le pas de la porte pour reprendre souffle. Il est là, sous la lourde voûte de ses épaules, la lettre pendant de sa main morte.
"Merde" c'est tout ce qui lui venait, "merde, il est parti". Il se sentait vide, de mots, de sentiments ou alors trop plein de peine. Tout se bloquait en lui. Pas de questions, de pourquoi, de comment. Juste du vide, de la solitude déjà. Son ami, son frangin, celui sans qui il n'imaginait pas passer une journée, venait de partir, de le quitter.
"Tu vois Raymond…" non je ne vois rien ou si, je vois que tu n'es plus là, connard!
Les commentaires récents