Le mardi, c'est le jour du foie d'agneau, chez le charcutier.
C'est comme ça.
Généralement Raymond en achète deux tranches. Une pour lui et une "au cas où" mais, depuis peu, il les mange toutes les deux.
A ceux qui s'en étonnent, il répond, comme pour s'excuser :"Oh, vous savez, j'ai mes petites habitudes de vieux loup solitaire. L'autre jour, à la télé, ils appelaient ça des rituels. Moi, je sais que j'aime le foie et qu'il y en a que le mardi alors je l'achète le mardi. Ça va pas plus loin, enfin je crois."
- Toujours deux tranches ?
- Toujours, on ne sait jamais, si quelqu'un passe sur le coup de midi…
- Ce quelqu'un, il ne s'appellerait pas René, des fois ?
- Il s'appelait souvent René mais, maintenant, il s'appelle "Personne".
Il parle en souriant pour que ce ne soit pas tout à fait triste mais le silence des autres ne lui laisse aucune chance.
La place à traverser, cette maudite place avec André sur son banc qui s'oblige en commentaire :
- Mardi, le jour du foie, encore une fois !
- Mon pauvre André tu n'a vraiment rien d'autre à foutre ?
- Hé non, rien, alors je m'occupe.
- A emmerder le monde.
- Qué, j'emmerde personne.
- Si, moi.
- Oh, pardon je ne savais pas qu'on ne pouvait pas parler sur ton passage. On t'a élu président de quelque chose pendant que je faisais la sieste ? tu devrais aller faire un peu de tourisme pour te détendre. Il parait que les paysages du Nord, ça calme.
Raymond a continué sa marche pendant la conversation. Il n'entend pas les derniers mots qu'André enveloppe dans un sourire de sympathie. Il ne se moque pas. Il fustige ses propres peurs, sa petite solitude quotidienne qu'il essaie de fourguer à l'étal de son banc sur la place, devant le cinéma.
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