Je me rappelle, je mangeais du poulet avec les doigts, assis dans l'herbe, contre un pommier. Elle venait à nous avec ses quinze ans de la veille. Elle montait de la rivière en souriant. Bouche ouverte et mains grasses, silencieux et peureux, nous guettions ses œillades pour savoir le vainqueur. Elle s'appelait Rosy, je n'aimais pas ce prénom mais j'aimais ses manière de fille qui savait, moi qui ne savais rien. Raphael, lui savait. Il parlait haut et fort avec les mots qui font rire les filles quand elles disent "que tu es bête !".
Raphaël, ça ne le gênait pas d'avoir du gras de poulet sur la joue, il disait :
" Fait moi la bise, j'en ai gardé pour toi".
Moi je ne disais rien, j'essuyais mes mains à l'intérieur de mes poches pour le cas où elle aurait envie de me dire bonjour. Mais Raphaël la prenait par la taille :
"Elle est jolie ta robe, on voit bien tes genoux"
" Bonjour, les autres!"
Les autres, c'était nous.
Il y avait Bernard qui cachait ses boutons en faisant semblant de dormir la tête dans les bras. Il y avait Eric et ses pantalons courts. Il y avait moi avec rien de précis sinon cette distance que l'on prenait pour de la prétention.
J'aurais voulu lui dire "tu me plais bien, tu sais. Pas ton prénom mais ça fait rien, tu me plais bien quand même" j'aurais voulu lui dire des choses que les garçons ne disent pas parce ça fait cul-cul, parce ça fait couillon. Moi ça ne me fait rien d'être couillon avec les filles. Je trouve que ça les rend encore plus jolies quand on leur dit les douceurs qu'on pense. Elles vous écoutent, des fois en fermant les yeux ou en regardant la montagne pour s'obliger à vous faire croire que ce n'est pas la première fois qu'on le leur dit.
Moi ça ne me fait rien d'être couillon, même si je ne peux pas lutter avec les imbéciles. Ceux qui vont vers les filles comme on va à la chasse, avec le sourire du vainqueur avant d'avoir gagné. Ceux qui trichent avec les yeux, la parole et le cœur, ceux qui piègent, qui braconnent.
Des fois, les filles, ça les amuse de se faire chasser. Des fois, les filles, ça les ennuie les douceurs.
Alors je m'efface. J'aurais voulu lui dire mais elle n'écoute pas.
Il parle fort et haut avec des mots qui font rougir, des mots qui disent qu'on est grande que l'on est désirée.
Il donne des envies de braconnage.
Quand elle reviendra, de la fougère dans les cheveux, elle me dira, son nez touchant le mien :
"C'est bien toi le plus gentil, le plus poli"
J'essuierai encore mes mains :
"T'as de la fougère dans les cheveux, attend, je te l'enlève"
" C'est vraiment toi le plus gentil"
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