Tu lui a pris la main, un jour devant le monde. Oh, il avait peu. Ton frère, tes deux soeurs, tes parents et la tante Zita.
C'est la fin du repas, dans ce vide entre le fromage et gâteau. Quand toute la famille silencieuse et repue, regarde le père s'appliquer à découper la tarte aux prunes. Les esprits embrumés s'évadent vers leur solitude. L'un se demande comment il va réussir à ne pas attendre le café pour partir rejoindre Émilie qui boude dans le square voisin. L'une se refuse, déjà, la part de tarte qui lui est destinée. Zita, majestueusement calée en bout de table, surveille l'équité de la coupe. Maman revient de la cuisine ravie, elle avait failli oublier le café.
Tu as tout préparé dans ta tête. Le regard glacé de ton père, les pleurs et la fuite de ta mère, le rire gras de ton frère, les rougeurs pudiques de tes soeurs. Tante Zita croira ne pas avoir compris. Rien ne peut te surprendre. Tu es enfin arrivée au bout de ce très long chemin fait de doute, de peur, de honte et de détresse. Tu vas pousser la porte et, quoi il arrive, tu sais qu'elle ouvre sur le bonheur.
Tu lui à pris la main sur la nappe fleurie. Tu as le regard haut prêt aux premières salves. Son genou est venu te parler sous la table. Tu ne renonces pas. Tes doigts s'entremêlent aux siens.
Le couteau a cessé sa découpe. les jumelles ont reposé leurs assiettes à dessert. Seul le silence perdure et se fait plus pesant. On attend plus, on se tait. La main que tu retient cherche la dérobade. Tu as peur toi aussi mais tu es surtout fière de ton audace.
" Ce soir je suis venue dîner avec mon amie Julie, que vous connaissez tous, pour vous dire que nous nous aimons depuis longtemps. Comme le mariage nous est interdit nous allons faire un PACS. Nous serions heureuses que vous participiez tous à la fête mais si vous ne le voulez pas ou que vous ne le pouvez pas sachez que cela ne changera pas notre décision. Quoique vous pensez, nous sommes très heureuses que notre amour ne soit plus clandestin.
Papa et maman je vous demande de continuer à m'aimer et de faire de la place à celle que j'épouse."
C'est dit.
Maman à essuyé ses yeux avec le torchon de la vaisselle. Papa a repris sa découpe. Ton frère a dit dans son téléphone " Ne m'attend pas, y a un problème." Les jumelles ont pouffé.
Tante Zita, sévère, a regardé Julie.
" Ma pauvre fille, vous entrez dans une famille de fous en épousant la plus folle. Je vous souhaite beaucoup de bonheur et de patience"
Papa a haussé les épaules en souriant.
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