Ce jour là, Robert avait mis tous les atouts de son côté. Des fleurs pour les dames, des bonbons pour Juliette. Il avait dit, « j'amènerai le dessert. Sa mère l'avait conseillé :
- Ne prends pas un Mille-feuilles, c'est désagréable, pour une femme, de se retrouver avec des miettes partout ni un Baba, elles vont croire que tu veux les souler.
Il avait acheté une tarte.
- Mon pauvre petit, c'est tout ce que tu as trouvé ?
A la maison, Suzy avait tout organisé. Le matin, en s'installant pour le petit déjeuné, elle avait chantonné :
- Ce soir, Robert vient dîner.
- … ?
- Ben quoi ? je trouve qu'il est très gentil avec nous. Il nous prête sa voiture, il fait la confiture, il …les fleurs au portail.
- Et moi, je mangerai avec vous ?
Juliette regardait le sourire et l'agitation de sa tante, le silence troublé de sa mère.
- Tu aurais pu me le dire.
- Et bien je te le dis
- Pourquoi me le dis-tu au dernier moment ? qu'est-ce qu'on va faire, c'est lundi, tout est fermé.
- J'ai tout prévu, c'est moi qui invite. Laisse toi faire, va à ta gym et, ce soir, fais toi belle.
- Je ne sais pas qu'elle histoire tu t'imagine mais j'ai peur que tu sois déçue.
- Je n'imagine rien mais ça m'agace quand je te vois repousser les gens sans les connaître. Manger avec Robert n'engage à rien sinon passer un bon moment avec quelqu'un de gentil, de naturel, quelqu'un qui n'en fait pas des tonnes pour te conquérir, tu l'as dit toi-même.
- Bon, ben… à ce soir, alors.
- C'est ça, à ce soir et souris un peu.
Les fleurs à droite, le gâteau à gauche, les bonbons dans la poche, Robert était au portail.
- Et comment je sonne moi ?
- Il est là, Juliette va lui ouvrir, il est embarrassé comme un chat avec trois noix.
- Bonjour Suzy, je suis en retard ?
- Non, on avait dit huit heure. Ma sœur n'est pas encore sortie de la salle de bain.
- Ah, alors je suis venu trop tôt ?
- Non, non c'est elle qui n'en fini pas.
A l'étage, la troisième robe venait d'échouer sur le lit. La glace de l'armoire reflétait une belle femme énervée en culote. La rouge, trop courte, la grise, on dirait une vieille fille. Et merde, je mets celle là, la bleue. Je crois que je ne l'ai pas mise depuis l'enterrement. S'il la reconnaît, ça mettra de la distance.
Pendant le repas, Juliette avait su placer de belles anecdotes sur la vie d'avant. Suzy, en vrai maîtresse de maison, c'était attachée à entretenir, relancer la conversation. Elle, elle souriait en commentant brièvement les propos de chacun. Elle observait surtout ce drôle de bonhomme empêtré dans ses désirs retenus, si différent de ceux qu'elle côtoyait avant. Ses collègues, les collègues de son mari toujours prêts à conquérir, fiers, hâbleurs, le regard direct sur leur convoitise. Lui, il semblait ne la regarder qu'avec sa permission, que lorsqu'elle donnait son sentiment ou son avis. Il ne lui demandait rien, il attendait, il espérait qu'elle se tourne vers lui. Elle avait compris tout cela et, pour la première fois, cette faiblesse l'émouvait. Suzy avait raison, il est vraiment gentil. C'est bien, les hommes gentils, pas les sympas, les gentils. On ne se sent pas en danger alors on installe doucement la tendresse, la complicité et si l'on ne peut pas aller plus loin, ils s'en contentent. Ils gardent cela précieusement comme un secret dont ils ne parleront à personne, même pas avec vous.
Juliette dormait dans le fauteuil devant la cheminée, Robert avait refusé l'alcool de poire après le café, Suzy avait entrepris de raconter la carrière que sa sœur avait lâchement abandonnée pour un poste de bibliothécaire en province.
- Mais arrête, ça n'intéresse personne.
- Mais si, ça m'intéresse. Si vous étiez restée à Paris, je ne vous aurais pas connue.
- Oh, là-là Robert, quel courage, vous allez la faire rougir.
- Excusez moi.
Les commentaires récents