Au restaurant du Poisson Rouge, au printemps, la mer vient lécher la terrasse en teck. Le repas est servi sur de lourdes et vastes tables carrées en fer et grossière mosaïque. Il fait soleil, il est treize heure. Un léger vent tempère ses assauts.
Les jumelles sont venues vêtues de légères robes fleuries. Juliette étrenne un « pantacourt » fuchsia et un t-shirt jaune. Robert porte une chemise blanche en lin sur un pantalon écru. Il est pieds nus dans des mocassins de cuir tressé. C'est un dimanche de mai au bord de la mer.
- Que tu es beau, Robert, s'écrie Juliette.
- Ma mère m'a dit, « on dirait un prof de fac en week-end, il ne te manque que le pull sur les épaules ». J'ai pris ça comme un compliment, moi qui sors d'un lycée agricole.
Ils sont là, tous les quatre, partageant silencieusement le plaisir, le bonheur d'être ensemble. Chacun le mesure, l'apprécie, pour lui-même, à sa façon, à la hauteur de ce qu'il en attend.
Juliette regarde sa mère, les yeux perdus vers le large. Elle regarde sa tante et Robert partis dans une conversation, obscure pour elle, sur les poissons de roche indispensables dans la bouillabaisse.
Suzy est heureuse, simplement. Parce que la mer, le soleil, le printemps. Parce que sa sœur qui se maquille, Juliette qui court et rit. Parce que Robert, solide comme un roc avec le cœur en sucre, qui regarde Elise pour lui donner, pas pour lui prendre.
Robert savoure ce moment qu'il a organisé. Un pas de plus l'un vers l'autre. Il lui revient l'histoire du petit prince et du renard. L'apprivoiser.
Elise laisse le vent rabattre ses cheveux sur son visage. Elle écoute la voix de Robert, le rire de Suzy. Elle l'écoute, lui, qui parle sans détours, sans artifice. Il l'apaise. Elle se laisse aller. Son passé ne lui reproche rien.
- Moi, j'ai faim. Robert, tu m'as dit que j'aurai une sole, chantonne Juliette.
- Oh ! Juliette !
- Laissez la, elle à raison. Moi aussi, j'ai faim.
On se regarde. On se parle avec les yeux. On se dit qu'on est heureux.
A la fin du repas, la promenade sur la plage vient naturellement. Suzy entraine sa nièce dans une cueillette bruyante de petits coquillages et bouts de verre polis. Elles laissent derrière elles Elise et Robert se construire une intimité.
- Robert… Elise passe sa main à son bras. Elle marche appuyée contre lui, le regard bas. Elle cherche, une dernière fois, les mots qu'elle a décidés de dire.
Je suis bien avec vous, je crois avoir compris que c'est un peu pareil pour vous, non ? Simplement, j'ai besoin de temps. Vous comprenez ? Je ne sors pas d'une rupture qui me demanderait de reconstruire. Je sors, enfin… je commence à sortir, à émerger, d'une catastrophe. J'ai survécu. Il a, d'abord, fallu que je me persuade que ce n'était pas injuste. Que la justice n'a rien à voir dans tout ça. C'est difficile. Aujourd'hui je suis plus sereine. Je peux vous regarder et répondre à vos sourires sans m'en vouloir. Je peux accepter le regard des gens du village sans redouter leurs arrières pensées.
J'ai envie de me rapprocher de vous.
J'ai envie de te dire « tu ».
- Vous … tu viens de dire plus que j'en espérais. Toutes tes envies sont les miennes et nous ferons le chemin à ton rythme. Aujourd'hui, tu m'as pris le bras, je sens ton épaule contre moi et même un peu ta hanche.
- Je suis au paradis, et tu me tutoies.
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