Elle l'avait promis. Elle se l'était promis. Elle ne ferait pas un pèlerinage. Pourtant, là, ce matin, sur le pont Caulaincourt, les images, les sons, les odeurs reviennent. Elise marche seule, lentement, dans son ancien quartier.
Le pont Caulaincourt n'enjambe pas la seine mais le cimetière Montmartre. Elle est souvent passée là, comme aujourd'hui tous ces gens, sans regarder en bas, en continuant son chemin, sa conversation. Du pont neuf, du pont Marie on regarde le fleuve, les bateaux, on met ses cheveux dans le vent. Là, on passe vite en parlant, la main dans la main, les yeux vers le beau visage aimé. Ce matin elle s'arrête, elle regarde en contre bas, les fleurs, les arbres. Il n'est pas là pour la tirer en riant vers leur chez eux.
Pas de pèlerinage mais juste voir si, rue Danrémont, il y a toujours cette crémière blonde et douce qui leur vantait ses fromages avec poésie. Elise se souvient de son émotion à voir son amoureux passer de longs moments en entretien devant un Chaource ou un pélardon. Elle se forçait à croire que seul l'amour des fromages et le désir d'apprendre présidaient à ces apartés. Le soir, à table, la crémière aux yeux clairs revenait, encore, dans les commentaires. Une bouderie de comédie, un grand éclat de rire, la faisaient alors disparaître et la douceur du lit rétablissait les certitudes.
A l'angle de la rue Lamarck, il a toujours le café-tabac où le garçon l'accueille avec son rituel « un p'tit café pour la p'tit' dam' ?» qui la fait sourire. Au 81, la concierge a été remplacée par un digicode. Elise n'ira pas jusque dans la cour regarder les fenêtres du quatrième.
Pas de pèlerinage, juste voir, sentir. Le revoir, le sentir et s'éloigner. Fermer la lourde porte du passé sur cette vie qui continue sans eux. Fermer la porte. Trainer encore un peu son cœur de cent kilo.
Pas de pèlerinage.
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