Je ne sais rien d'eux.
Je le connais à peine pour l'avoir croisé une fois ou deux à la boulangerie. Je sais donc qu'il rit fort de ses blagues douteuses et des rougeurs qu'elles font naître sur les joues de la boulangère. Je le sais propriétaire d'une vielle voiture de sport mal garée dans laquelle elle l'attend en jetant des regards inquiets par la lunette arrière. Elle n'est donc, pour moi qu'une petite tête vive, aux cheveux courts, piquée de deux yeux noirs angoissés. La première fois, son apparente impatience m'a fait sourire. Je pensais à un oiseau perdu dans une cage trop exposée.
Je ne sais rien d'eux. Ils sont assis là, dans ce bar, pour la pause café. Elle boit, lentement, en silence, le regard loin derrière la vitre. Il a étalé devant lui le journal des sports et commente, au téléphone, d'un enthousiasme bruyant, les résultats de la veille. Elle sourit, je crois, au garçon assis en terrasse qui lui fait des grimaces de pantomime. La vitre les sépare moins que la lecture du journal et le téléphone. Le soleil joue sur son visage. Maintenant elle rit et gesticule à son tour. L'homme ferme son portable, regarde sa femme qui l'oublie.
- Qui est ce ?
- Un ami.
- Comment ça, un ami ?
- Un ami… un collègue de bureau, si tu préfères. Tu ne le connais pas.
- Je ne préfère rien, je me renseigne.
- Et bien, maintenant, tu sais
- Je sais que je ne sais rien et que tu souris à un inconnu.
- Mais ce n'est pas un inconnu.
- Pour moi, si.
L'homme s'énerve, la femme semble s'amuser de son impatience. En terrasse, le garçon est retourné à sa lecture comme pour retrouver son anonymat. La femme a croisé mon regard spectateur. Elle me sourit. L'homme le voit, se lève et sort. Elle le regarde s'éloigner jusqu'à ce qu'il disparaisse. Le garçon, s'en va, à son tour. Il la salut d'un petit geste enfantin. Elle lui répond d'un sévère coup de menton.
Maintenant le soleil l'agace.
Nos regards ne se croisent plus.
Je la vois soupeser sa vie, mesurer le dérisoire des petites querelles que fabrique le quotidien.
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