http://annuairebunny.centerblog.net/rub-*-7-Poesies-Poetes.html
Au début, je pensai qu'elle ne me regardait pas, que le soleil l'obligeait à se protéger, la main devant les yeux. Je croyais même qu'elle dormait sur l'herbe, fatiguée du cours précédent ou de quelques nuits écourtées par les révisions. Un souffle d'air agaçait une mèche. Assis, appuyé contre un arbre, je crayonnais de rapides croquis pour accrocher ce geste, cette pose, à ma mémoire. J'imaginais, déjà la toile qui allait naitre de ce moment d'émotion. Au fil des pages, le dessin s'épurait. Les lignes, plus précises, révélaient simplement, un bras, une hanche, un genou. Je chercher à capter la paix plus que la langueur, le bonheur plus que le désir. Je ne voyais pas une femme lascive, convoitée à son insu. Je voulais faire partager ce sentiment de quiétude qui émanait de cette scène, que l'on sente tout, le soleil, l'herbe la brise, les cheveux, le grain de peau au bord du frisson.
C'est pour moi tous ces dessins ?
Une petite phrase jetée devant un rire. La main s'écarte. Le buste se relève. Le sourire se déploie. Le crayon s'immobilise. Le carnet se referme.
Je, je croyais que vous dormiez
- Et alors ?
- Ben, je sais pas. J'ai trouvé ça beau. J'ai eu envie de le peindre alors, j'ai fait des croquis pour me rappeler.
- Vous avez trouvé "ça"? c'est moi le "ça"?
- Non, non, bien sûr, c'est l'ensemble, vous, votre pose, le moment avec le soleil, l'herbe, le vent. Ça donnait une impression de … paix … de bonheur. Je me sentais bien devant ça, oh, pardon, devant ce spectacle.
- Je ne sais pas si c'est mieux, spectacle.
- Enfin, j'ai eu envie de le capter. Ce n'est pas vous qui m'importez mais ce qui se dégage du tout.
- Merci, c'est agréable, vous savez parler aux femmes, vous. Le jour de la leçon de galanterie, vous aviez piscine, non ?
- Excusez-moi, je crois que je ne sais parler à personne. Quand j'essaie d'expliquer ce que je fais ou veux faire, je suis assez lamentable.
- Ça doit être rock and roll avec votre copine. Vous devez lui faire le coup de l'atmosphère comme Jouvet à Arletty.
- Non, elle n'a pas attendu ça.
- Encore, "ça"? j'ai l'impression que vous employez ce mot quand vous ne savez pas décrire ce vous voyez ou ce que vous sentez.
- Je crois que les peintres ne savent pas dire alors ils dessinent mais ce qu'ils mettent sur la toile n'est que le fruit de leurs émotions.
- D'où l'incompréhension coutumière du quidam ?
- Ce serait rassurant si c'était la seule et bonne réponse.
Elle avait gardé le même sourire pendant toute la conversation. Le sourire d'une personne qui se sait maitre de la situation, comme si elle tenait une mouche sous un verre. Elle ne lui veut aucun mal, elle sait qu'elle va la relâcher mais elle s'amuse de la voir tourbillonner à la recherche d'une échappatoire. Moi je me sais la mouche. Je m'empêtre à expliquer mon attitude, elle joue à me porter la contradiction. Elle sourit encore.
Si voulez, je vous donne mon carnet.
- Pourquoi faire ?
- Parce que c'est vous qui êtes dessus
- Faites voir … ouaih, bon, vous avez intérêt à le dire, moi, je ne me reconnais pas là-dessus.
- Vous voyez bien que ce n'est pas ce que je vois qui est représenté mais ce que je ressens.
- Oui, ben, ce que vous ressentez, je ne le vois pas trop, non plus. Dit-elle dans un éclat de rire.
- Excusez moi, je ne veux pas vous blesser mais vous savez moi la peinture… je me suis arrêtée à la Joconde sur les boites de chocolats. En revanche, le dernier café que j'ai bu est suffisamment loin pour que j'accepte avec joie celui que vous m'offrez.
- Ah, heu, oui, volontiers, mais où ?
- Chez vous, ce sera moins cher.
La mouche était encore dans le verre.
Les commentaires récents