Maintenant que j'y pense...

En silence

 

Dans la Cévenne, on ne parle pas. Là-haut, dans les hautes vallées, étroites comme des étaux, on a le cœur et la vie serrés. On ne parle pas. On vit les joies comme les malheurs, dans le silence de la parole.

Eux, ils avaient la tristesse et le désespoir fichés en eux depuis longtemps alors ils se sont crucifiés ensemble, dans le silence, seuls, sans mots, juste ce geste terrible.

Ce matin nous les avons conduit, ensemble, dans la vallée haute, étroite, raide et sévère qui leur à fait la vie si dure où la parole est absente.

Cette parole qui ouvre, desserre, libère.

Cette parole qui permet de survivre au malheur.

 

Elle était gentille

 

C'était dans un champ, avec une fille

Que tu as perdu ta virginité

Tu t'en souviens bien, elle était gentille

C'était vers seize heure, après le goûter.

 

Elle t'a dit viens en roulant des billes,

Des yeux de velours à ne pas douter.

Tu t'en souviens bien, elle était gentille

Depuis les garçons, eux, t'ont fait pleurer

 

C'était dans un champ cloué de jonquilles.

Dans les herbes hautes elle t'a couchée.

Tu t'en souviens bien, tu as les yeux qui brillent

De sentir encore ses doigts te toucher.

 

Tu n'as plus jamais caressé de fille.

Petit à petit les fleurs ont fanées.

Tu t'en souviens bien, elle était gentille.

Les garçons ont su te faire pleurer.

 

Quand tu vas au champ, cueillir des jonquilles,

Que tu vois un coin aux herbes couchées,

Tu dis doucement, là, il y a deux gentilles

Qui se sont donné leur virginité.

Si tu veux

Nous irons sur la lune

Si tu veux

Tous les deux.

Nous poserons nos pieds dans ceux de l'amerloc,

Regarderons leur drapeau étendu comme une serviette.

La terre

Là-haut

Bleue

Il paraît

Et pas ronde.

Nous sauterons, légers, dans la poussière grise,

Si tu veux.

Le soir du premier jour,

Tu seras fatiguée.

Je pendrai ton scaphandre au fond de la fusée,

Dans le placard du bas.

Te regarderai te doucher en tournoyant autour de toi.

Puis nous ferons l'amour,

Si tu veux,

Légers,

Au dessus du sol,

De la table,

La tête en bas,

Les pieds sur le hublot.

La terre,

Là-haut,

Continuera de tourner

Avec la Mer Morte,

La guerre,

Le tsunami,

Le petit Ryan oublié,

Ma mère perdue dans son fauteuil.

Nous flotterons de plaisir,

Loin de tout çà.

Si tu veux.

Le lendemain,

Nous bondirons, encore un peu

Mais

Tu auras envie de rentrer.

Parce que les chats, les plantes,

Ta mère qui languie

Et puis, l'amour, comme ça, ne te fera plus rire.

Nous reviendrons sur terre.

Le jardin,

Le chien du voisin,

Le ruisseau,

Un livre dans ta main,

Mon verre de rosé,

Une amie qui nous sourit d'amour

De la vie

Encore

Si tu veux.

Il y avait

Il y avait des taches d'eau sur ta jupe

Et le bruit de la mer

Un peu de vent,

Très peu.

Il y avait du sable sur tes pieds

Et ton sourire

Aux enfants qui criaient.

Il y avait ton silence

Par-dessus le vacarme

De l'eau et du vent.

J' l'entendais

Ton silence.

Il s'installait doucement

Entre nous

Il y avait le soleil

Encore un peu de soleil

Pour quelques instants

Avant de s'éteindre.

Comme nous.

Il y avait ta main

Et des cailloux polis

 

Chapeau

Il m'avait dit : " A mon mariage, je veux que tu sois mon témoin."

Surpris, heureux, ému, je lui avais répondu avec l'accent de Pagnol : " bougre !! Je vais mettre le chapeau !" Et, aussitôt, il ajoute avec le même accent : " Ah, vouai, tu as raison, on mettra tous le chapeau"

Et nous voilà, à dix sept heure trente, devant la mairie, cent vingt en chapeautés. Elles sont belles comme des divas, nous prétentieux comme des notaires. Elles pouffent, nous pavanons. Il y a beaucoup de Panama, quelques Stetson, des casquettes mais surtout, des voilettes, des fleurs séchées piquées dans la soie, des boucles travaillées, des nattes, des cous hauts dégagés de la beauté simple et légère. Pas pour plaire, juste pour le plaisir d'être. Et le soleil, là dessus. La brise, juste la brise, dans les plis.

Lui, il a aussi le chapeau et le costume d'été clair avec une rose blanche à la boutonnière. Il est beau comme le bonheur.

C'est mon frère de cœur. Nous sommes nés la même année, presque le même mois. Nous avons dépassé la cinquantaine mais pas la soixantaine et pourtant, quand on aime, ça sent pareil que quand on allait porter des fleurs à la maitresse, pareil qu'une après-midi au cinéma, pareil qu'un escalier de chambre de bonne. Ça tremble, ça bafouille des maladresses.

Quand on aime c'est pareil.

J'ai la tête un peu lourde de ton champagne et ton vin mais le cœur chargé de ta tendresse.

Merci de ton bonheur.

Une vieille chanson

Une vieille chanson

A la radio

"Il ne faut pas briser un rêve"

On dirait un air de mambo

Je ne sais pas

Lent et soyeux

Comme au ciné

En noir et blanc

Les messieurs à fines moustaches

Bercent

Les dames aux cheveux d'or

Ils les serrent sur leur poitrine

Quand elles ferment leurs grands yeux

Ils leur disent

De leur voix grave

Les iles vierges sous le vent

Un violon pleure doucement

"Il ne faut pas briser un rêve"

Je suis un film

En noir et blanc

Et mon pas lent

Tangue et vacille

Quand le mot

Fin

Crève

L'écran.

 

 

Y a ton vélo dans l'escalier

Y a

Ton

Vélo

Dans l'escalier

T'es

Pas

Sortie

C'est pas la pluie

C'est lui.

Y a ton vélo dans l'escalier.

 

Y a

Ton

Courrier

Sur le palier

Tu l'as

Pas vu

Tu l'as

Pas lu

C'est lui.

Y a ton courrier sur le palier.

 

Sur

Ton

Balcon

Y a des chaussures

Des chaussures

Pour des grands pieds

Des

Pieds nus

Derrière

Les volets fermés

 

Dans

Mon sac

Y a de la brioche

Et

Le miel

Que

Tu préférais.

Des

Fleurs

Pour ton

Oreiller

 

Y a

Ton

Vélo

Dans l'escalier

T'es

Pas sortie

C'est pas la pluie, c'est lui.

 

 

 

 

Rosy

 

Je me rappelle, je mangeais du poulet avec les doigts, assis dans l'herbe, contre un pommier. Elle venait à nous avec ses quinze ans de la veille. Elle montait de la rivière en souriant. Bouche ouverte et mains grasses, silencieux et peureux, nous guettions ses œillades pour savoir le vainqueur. Elle s'appelait Rosy, je n'aimais pas ce prénom mais j'aimais ses manière de fille qui savait, moi qui ne savais rien. Raphael, lui savait. Il parlait haut et fort avec les mots qui font rire les filles quand elles disent "que tu es bête !".

Raphaël, ça ne le gênait pas d'avoir du gras de poulet sur la joue, il disait :

" Fait moi la bise, j'en ai gardé pour toi".

Moi je ne disais rien, j'essuyais mes mains à l'intérieur de mes poches pour le cas où elle aurait envie de me dire bonjour. Mais Raphaël la prenait par la taille :

"Elle est jolie ta robe, on voit bien tes genoux"

" Bonjour, les autres!"

Les autres, c'était nous.

Il y avait Bernard qui cachait ses boutons en faisant semblant de dormir la tête dans les bras. Il y avait Eric et ses pantalons courts. Il y avait moi avec rien de précis sinon cette distance que l'on prenait pour de la prétention.

J'aurais voulu lui dire "tu me plais bien, tu sais. Pas ton prénom mais ça fait rien, tu me plais bien quand même" j'aurais voulu lui dire des choses que les garçons ne disent pas parce ça fait cul-cul, parce ça fait couillon. Moi ça ne me fait rien d'être couillon avec les filles. Je trouve que ça les rend encore plus jolies quand on leur dit les douceurs qu'on pense. Elles vous écoutent, des fois en fermant les yeux ou en regardant la montagne pour s'obliger à vous faire croire que ce n'est pas la première fois qu'on le leur dit.

Moi ça ne me fait rien d'être couillon, même si je ne peux pas lutter avec les imbéciles. Ceux qui vont vers les filles comme on va à la chasse, avec le sourire du vainqueur avant d'avoir gagné. Ceux qui trichent avec les yeux, la parole et le cœur, ceux qui piègent, qui braconnent.

Des fois, les filles, ça les amuse de se faire chasser. Des fois, les filles, ça les ennuie les douceurs.

Alors je m'efface. J'aurais voulu lui dire mais elle n'écoute pas.

Il parle fort et haut avec des mots qui font rougir, des mots qui disent qu'on est grande que l'on est désirée.

Il donne des envies de braconnage.

Quand elle reviendra, de la fougère dans les cheveux, elle me dira, son nez touchant le mien :

"C'est bien toi le plus gentil, le plus poli"

J'essuierai encore mes mains :

"T'as de la fougère dans les cheveux, attend, je te l'enlève"

" C'est vraiment toi le plus gentil"

Celle qui ne me connaît pas

Elle m'envoie ses flèches et ses rires,

Ses chagrins et ses peurs.

Elle m'écrit de très loin

Celle qui ne me connaît pas.

Elle me dit ses soupirs

Ses rudesses

Comme l'on parle à un ami

Qui nous tient la main et le cœur.

Elle me tient

Ailleurs, il y a certains qui entendent son rire

Et qui la voient danser.

Ailleurs ils sont plusieurs

Avec de beaux sourires

Qui raniment ses peurs, ses chagrins ses envies.

Elle tourne vers moi son regard,

Sa raison.

Vers moi qui ne peux rien.

Ou alors, seulement,

Voir du diable vauvert,

Ressurgir mes fantômes.

Elle m'écrit,

Celle qui ne me connaît pas,

Les mots que je connais

Tellement.

Ceux que j'ai entendus

Les jours de déchirure

Quand on dit

Retiens-moi,

Ne me laisse pas partir

En s'enfuyant.

Ce soir, ses derniers mots :

Trop tard !

 

 

Tu dormais sur le ventre

 

C'était la nuit, c'est sûr,

Tu dormais sur le ventre et la lune venait souligner mes envies.

Rien, le silence.

Peut être, dans la rue, les pas d'une fille pressée,

Le cri d'un chat craintif.

Ton silence, le mien,

Le temps qui se retient.

C'était la nuit comme les autres.

Demain, je ne te dirai pas mon regard sur tes hanches,

Ma main qui le dessine

Et le petit rictus de ta narine gauche.

La nuit, j'ai mes secrets

Et tu en fais partie.

La nuit quand je m'envole

Je nous vois nous aimer

Et rire à en jouir.

Demain, quand je t'embrasserai,

Je poserai sur toi,

Sur le bout de tes lèvres,

Un peu de mes voyages.

Tu auras bien dormi

Je dirai

Moi

Aussi