Maintenant que j'y pense...

ça m'a fait du bien

Oh moi, tu sais, je suis un utopiste sans illusions.

Je crois aux lendemains qui chanteront mais je sais que ce n'est pas pour moi, qu'il faudra des luttes, des souffrances et que je ne serai pas là pour les jours meilleurs. Il me disait cela d'une voix calme, presque trop calme, une voix lasse mais sans plainte.

Nous marchions lentement, un dimanche d'hiver, sur la plage de Maguelonne. Le soleil agaçait déja les jeunes filles et les enfants courraient derrière leur premier ballon. Je ne sais d'où lui était venue cette réflexion. Elle avait jaillie comme ça pour interrompre un bon quart d'heure de silence.

Je n'avais rien à répondre. Attendre la prochaine salve de pensée en marchant à pas traînés de promeneurs du dimanche. Lui laisser le temps.

Quelques fois, les vraies conversations sont de longs monologues où l'un écoute l'autre se vider de tout un tas de scories qui lui encombrent l'esprit et la gorge.

Généralement, cela se termine par un souriant : " Ah ! ça m'a fait du bien de discuter avec toi, on devrait le faire plus souvent"." Mais je n'ai rien dit"  " Oui, mais ça m'a fait du bien"

c'est rien du tout.

Ils sont partis, tous les deux, vers la clinique. On leur a dit des mots d'amour

" Donnes des nouvelles", "Appelle, quand c'est fini".

On leur a posé la main sur l'épaule en leur disant "tu verras, c'est rien du tout, une petite opération, une petite anesthésie". Elle disait oui de la tête en regardant le chat. Il lui tenait la main sous la table. Il avait peur, elle avait peur et nous aussi mais tout le monde souriait.

Nous les avons accompagnés jusqu'a leur voiture, embrassés. Encore la main sur l'épaule, c'est le calin de la pudeur, c'est quand on voudrait serrer tellement fort. Il tenait son volant, cherchait ses clés, allumait la radio

"non , un CD, c'est mieu".

Elle nous souriait à travers la vitre. Nous lui rendions son sourire, penchés vers elle, la main sur la voiture. Les toucher encore, envie de les voir revenir heureux.

Le téléphone a sonné dans ma poche. La musique me dit que c'est lui.

" Ca y est, ç'est fini, tout c'est bien passé, elle dort encore mais tout va bien."

"Alors, c'était quoi ?" " Rien de grave, ils ont tout nettoyé, elle est toute neuve, tout peut fonctionner normalement".

J'entendais sa voix rire. J'essayé de lui dire je vous aime avec des "c'est super", "Je suis content", " Embrasse la pour nous".

Un jour, maintenant c'est certain, ils seront trois sur la photo.

Rue Caulaincourt

Dans la rue Caulaincourt, à Paris dix huitième, il y a, il y avait, une fille aux yeux tristes qui parle aux garçons et leur vend du frisson.

Je sais, ça fait cliché, le vieux Paris en noir et blanc, les yeux tristes et les garçons furtifs mais, que voulez-vous, j'ai des souvenirs à la Cartier-Bresson, à la Doineau. J'ai croisé mille fois "les amants de l'Hotel de Ville". J'ai vu Arletty et Jouvet se dire des "douceurs". Je me fait mon cinoch' et mes livres d'images pour baliser un peu le chemin parcouru.

La fille qui dit "tu",  emmène le garçon dans un hotel au nom d'un autre sciècle : "L'Exelsior". L'escalier sans tapis grince de tous ses ans jusqu'au premier étage où une grosse dame, en tablier de ménage, leur donne une serviette contre cinquante franc.

Sur les murs du couloir, la biche et le chasseur se chamaillent sans fin. Le garçon les regarde pour se distraire un peu de la croupe promise qui danse devant lui. Elle s'arrête devant la porte seize et, comme pour convaincre le garçon hésitant, lui lâche un compliment, une main lassive et prometteuse posée sur la poignée.

Les rideaux sont tirés dans la chambre aux délices. Des fleurs artificielles égayent un guéridon.

- D'abord une toilette et mon "petit cadeau".

- Ben qu'es' t'attends pour poser tout ça ? dit-elle en pinçant le plis du pantalon.

Le lavabo, deux billets dans le sac, une fille allongée qui fait un compliment, une éclaboussure de plaisir, et puis, vite les habits, la porte, le couloir, l'escalier, la rue  et la tristesse et la honte et la solitude.....

Ma frangine

Hier j'ai parlé d'amour, d'amour sans désir.

Comme on aime son frère, sa soeur.

Celle là, c'est comme ça que je l'aime.

A courir partout quand elle pleure.

A lui trouver un coussin.

A attendre qu'elle puisse parler.

A comprendre qu'elle se taise.

A aimer l'homme qu'elle aime.

Celle là je l'aime.

Sans avoir besoin de le lui dire.

Sans avoir besoin de la toucher.

Sans avoir peur de la perdre.

Comme si nous étions nés du même lit.

Celle là je l'aime

et quand elle rentre chez moi j'ai l'impression qu'elle revient,

à sa façon de poser son sac sur la même chaise, de bouger dans les pièces,

à son apparente liberté.

Celle là c'est la frangine que j'ai choisie.

Personne le sait.

Elle non plus.

Je voudrais

Je voudrais vous écrire des lettres à votre hauteur, des lettres qui  vous attrapent le coeur, des lettres d'amour.

J'aimerais vous écrire des lettres d'amour sans un seul "je", rien que des "vous", rien que des "nous". J'aimerais vous dire "tu" seulement après les caresses quand le stylo se pose épuisé de plaisir au bord du lit de mon cahier.

J'oserais les mots plus que les gestes, les mots intrusifs, insistants ce qui bouleversent, qui chavirent, submergent.

J'aimerais vous aimer d'ailleurs, de loin, pour ne pas vous blesser, pour ne pas vous contraindre. J'ai tant vécu de lassitude  masquée, de ce reste d'amour matiné de tendresse.

Je ne veux plus de silence indulgent.

Je prefère l'absence.

J'aimerais vous écrire.

Simplement vous écrire et croire que tu ne me quitteras jamais. 

Les lampadaires

On a marché comme d'habitude, jusqu'a la fin des lampadaires. Elle me tenait le bout des doigts les yeux sur ses chaussures.

C'était septembre. Son père avait dit "jusqu'à dix heure".

Je lui donnais de courts baisés sur sa nuque penchée. Elle riait, timide, de ma timidité.  Elle aurait bien voulu, je le sais maintenant, que je sois plus hardi. Que je laisse sa nuque, que je laisse sa main, que je prenne sa taille, sa bouche et peut être ses seins. Nous aurions poursuivi après les lampadaires où le noir dissimule l'amour et la timidité.

Elle aurait bien aimer, je le sais maintenant, se coller contre moi et sentir un garçon pour la première fois. Mais nous avions quinze ans et des frissons de peur. La lumière semblait nous garder dans l'enfance où les baisés sont des bisous, les caresses des calins. Après les lampadaires, il y avait l'ombre, les murmures, les soupirs de l'adolescence. Nous le savions pour en avoir vu, certains de nos amis, revenir transfigurés et hautains, comme initiés.

- Tu l'as fait ?

- Quoi ,

- Ben .... après les lampadaires, avec Alain ?

- Ben..... OUI ! là, mais tu le dis pas, hein ?

- T'es folle, moi je pourrais pas, enfin, pas encore. C'était comment ? C'était bien?

- Tu m'agace, tu verras.

Les garçons allumés une cigarette " On fume toujours après."

- Tu t'l'ai faite ?

- Pour qui tu me prend, ducon ?

- Et alors ?

- Ben si tu sais pas c'est que t'es encore puceau. EH, LES MECS, IL EST PUCEAU !!!

On a marché comme d'habitude, jusqu'a la fin des lampadaire. C'était septembre. Son père avait dit "jusqu'à dix heure".

Ce soir, elle est venue, comme chaque année, au repas de la classe. Son mari promène ses palmes academiques en vouvoyant ses copains de football. Elle le regarde, ironique, assise avec nous devans la cheminée.

- Tu changes pas trop, toi, me dit-elle

- Je m'élargis, un peu, je m'évase.

- C'est vrai, et t'as perdu tes boucles blondes, t'es un homme mûr, quoi.

- Tu l'as dit, mûr. 

- Tu te souviens, le chemin avec les lampadaires ? tu sais que, si tu me l'avais demandé gentiment, je serais bien allé faire un tour avec toi dans un coin sombre.

- Mais j'attendais que tu me le demande, toi.

Elle rit en me regardant et pose sur ma joue, du bout du doigt, une caresse nostalgique.

Cette nuit

Cette nuit, tu as laissé la lumière dans le salon et ton écharpe rose sur le canapé. La petite chatte s'est roulée dedans. Je la regarde dormir toute enrubanée. Etalée, nonchalamment entre deux coussins, une patte posée sur ses yeux, elle incarne la paix, la douceur de vivre.

Je me nourri de sa paix. Je m'assieds doucement près d'elle, pas trop près pour partager sa quiétude et boire lentement un verre de vin. Plus de bruit, peut être un peu de vent, je m'alanguis moi aussi. Je m'accorde se luxe. Je me laisse penser n'importe où. Il y a foule ce soir dans mes pensées volatiles. Les amis, les amies, les passantes, les mots, les regards et les choses qui m'ont donné du gaz.

Rien de méchant ne vient dans ces moments de luxe. Je me fais de la douceur comme un dessert bien sucré, presque trop. Mais tant pis.  Je sais que j'ai besoin de ces moments où mon imagination m'emmène me souler de mensonges, me repaître d'illusions. J' ai besoin de perdre la raison en cachette, sans bruit, sans créer d'inquiétude. Perdre la réalité, trouver le rêve, le conduire où je veux, là où ça fait du bien, m'y rouler comme dans une écharpe rose et m'endormir serein.

- Qu'est ce que tu fais ? Il est très tard. Pourquoi bois-tu du vin, maintenant ? Viens te coucher. N'oublie pas d'éteindre en montant.

Hier

Hier je suis allé me promener dans son jardin. j'ai posé la main sur sa pierre. Elle était froide comme son absence. Depuis quatre ans je vais le voir dans ma mémoire. Je fais revenir son sourire discret, sa main sur le bras du fauteuil,  son crayon dépassant d'une revue. Pas de grands souvenirs. Que des petits bouts de presence. Son gilet bleu avec les boutons perdus. La pile de photos sans cesse feuilletée. Son regard silencieux sur les choses et les gens. Son attente sereine de la fin du chemin. Je garde au fond de moi le poid de sa dernière main sur mon épaule. Elle me dit je t'aime, elle me dit n'ai pas peur, elle me dit au revoir. Je la sens, certains soirs, me donner le courage. Pas le courage heroïque, non le petit courage de tous les jours, celui qui permet de croire que le meilleur reste à venir, que demain..... Je la sens cette main c'est mon héritage secret. Mon père puisait ses meilleurs discourts dans les silences que nous partagions. Il savait ne rien me dire avec force. Nous regardions le même paysage, les mêmes photos, côte à côte, il me donnait un livre, il me disait "regarde", il me disait "tien". Les autres mots ne venaient pas mais je les savais. Je garde ses moments comme on garde un bijoux que l'on ne portera jamais mais qui rechauffe l'âme rein qu'à le regarder.

Je les aimais

Je les aimais, ces riens, ces misères,

ces petits bouts de rien du tout,

que tu laissais

trainer

dans mes chimères

quand tu me tenais, là, dans ton cou.

Je les aimais ces phrases bêtes

avec des mots en sucre roux,

ces phrases qui remplissent la tête

de vertige à vous rendre fou.

Je t'aimais toi

qui m'aimais moi

et notre image dans la glace

quand on se faisait l'amour doux

avant que tout ne s'éfface

comme une larme sur la joue.

J'avais les fleurs

J'avais les fleurs, j'avais les mots,

j'avais le soleil sur mon chapeau.

T'avais les pleurs et le gros dos,

t'avais du brouillard dans ton cerveau.

Je t'ai tendu la main avec des bouts de moi dedans.

Tu les as pris

et je t'ai dit merci.

Je t'ai regardée longtemps

manger du moi à belles dents.

Tu souriais la bouche pleine

en me faisant des nuits sereines.

Et puis les pleurs séchés.

Plus faim, plus soif, plus rien : du laid

Y a de la douleur sur mon dos,

Y a du brouillard sur mon chapeau