Maintenant que j'y pense...

L'omelette

Ce jour là, mon cousin avait glissé sur caillou. Il était tombé dans l'eau la tête la première.
- T'as vu, j'ai fait du "sous l'eau" ?
- Non, fais voir.
- T'avais qu'à regarder.
C'était comme sur les photos du calendrier des postes. Il y avait la rivière, les arbres penchés, l'herbe et la grande nappe avec les paniers. C'était dimanche, non lundi, Lundi de Pâques, le jour de l'omelette. C'est la tradition, ici, le lundi de Pâques, on mange l'omelette en pique-nique.
Quand on est petit, on y va en famille.
La mère crit,"n'allez pas au bord"
Le père crit "allez chercher du bois"
La grand-mère dit "ils n'écoutent rien".
Le grand-père lit le journal et annonce "Le père Jourdan est mort, on l'enterre demain".
Sur le chemin, derrière nous, passent des gens que nous ne connaissons pas.
- Pourquoi on dit bonjour?
- Parce qu'il passent à coté de nous.
- Mais dans la rue, on dit pas bonjour tout le temps comme ça ?
- Là c'est pas pareil, c'est sur un chemin et puis on se promène.
- J'y comprend rien.
Quand on est grand, on y va avec la bande. Ce n'est pas souvent mais pour l'omelette, on a la permission. C'est juré, on ne se baignera pas "L'eau est encore trop froide en Avril".
Lucille a mis sa robe à fleurs parce que les pantalons c'est pas pratique si on  veut tremper les pieds. Julien rit, derrière elle. Hélène la soupsonne à haute voix d'avoir prévu autre chose qui n'a rien à voir avec l'eau. Julien rit encore. Lucille lui dit qu'il est bête.
- C'est Romain qui fera l'omelette. Son père est cuistot.
- Moi mon père est prof.
- Alors tu sais rien faire.
- Qu'il est con celui là
- Tu sais, ta robe, dans l'herbe avec toute ces fleurs, on dirait le jardin de la mairie.
- Hé ben, y a pas que moi qui suis con !
- Quoi ? je lui fait un compliment.
- Merci, c'est bête mais c'est gentil.
Ce jour là, je me suis brûlé en mangeant l'omelette. Après je suis allé marcher seul au bord de l'eau.
Elle m'a dit c"est bête mais c'est gentil. C'est comme si elle m'avait dit  "Aller, va, Je t'aime bien".
Je croise sans les voir des enfants qui s'amusent à saute cailloux.
- Maman, maman, tu sais ? Il a fait du "sous l'eau"
Son grand-père rit en pliant son journal.

Et voila

Et la voila qui s'en va, la 2005.
Elle s'en va comme une fille que l'on n'a pas su aimer.
Elle nous a fait ses yeux doux. Elle nous a fait ses crises. Nous lui avons tout  juré, quand elle est arrivée puis, peu à peu, nous avons oublié nos serments. On s'est habitué à elle au point d'en chercher le nom, certains jours, avant la signature d'un chèque. Quand la vie nous raturait le coeur, nous la maudissions en appelant la suivante.
Aujourd'hui, dernier jour à passer avec elle. On la regarde, on la regrette déjà. En fait, nous nous regrettons nous mêmes. Nous pleurons cette part de nous qu'elle emporte avec elle dans son voyage vers l'oubli.
La 2006 se pointe avec son baluchons d'espoir. Elle est belle, c'est le premier contact. Nous faisons l'amour en son honneur. Nous faisons l'amitié aussi.
Je vous présente La 2006, j'ai envie que nous l'accompagnons ensemble jusqu'à son terme. Nous aurons nos plaisirs, nos chagrins nous serons heureux et malheurs mais ensemble pour se tenir.
Je vous embrasse si vous le voulez.

La maison

Nous avons déposé les manteaux dans la chambre du fond. Celle où je t'ai vu pour la dernière fois.
Nous sommes tous venus à "La maison". La maison de famille, d'amour, de dispute, de vie. La maison de mes devoirs sur la table de la cuisine, de la télé en  noir et blanc, de la confiture de châtaignes, du pantalon des dimanches.
Notre maison.
Toi tu n'es plus là. Tu nous a laissé le 22 février de l'année 2002, le 22/02/02, comme si tu avais peur que l'on oublie la date. Tu avais 89 ans. Tu en avais assez. Tu l'as laissée elle aussi. Elle t'a perdu et s'est perdue. Elle est  là mais n'est plus de ce monde.
Nous sommes tous venus. Noël, c'est ici.
Le plus vieux vient de loin. Il amène les vins et le Champagne. Le second un plat de viande mitonnée doucement, un plat d'hiver qui tient au corps. La première soeur a fait un gros pâté en croûte, la recette de maman. La deuxième soeur à fait une autre entrée en pâte feuilletée. Ma chérie a fait la bûche, celle de maman. Le troisième garçon a débouché le Jurançon "pour la bûche mais c'est bien aussi à l'apéro".
Les enfants sont venus avec leurs enfants. Des tous petits qui ne savent pas et qui courent partout sans voir les cadres sur la cheminée.
Dans la bibliothèque, il y a ton fauteuil où tu attendais sagement que les jours passent. Lucide, sans mémoire, tu te voyais partir trop lentement. Je me souviens de ton sourire las quand je prenais naïvement de tes nouvelles. Tu te voulais paternellement rassurant. Je me montrais dupe.
Ce soir nous boirons le champagne, ferons chanter la maison jusque tard dans la nuit.
Le Père Noël sera passé dans la bibliothèque.
Il aura poussé ton fauteuil.

Boby

Fais voir ton coeur, pose le là, on va le réparer.
J'aimerais dire cela au gens que j'aime. Quand je les sens saouls de tristesse. Quand rien ne peut plus sortir de leur bouche parce que les mots n'ont plus de force.
Quand dire,"je me meurs", c'est encore survivre.
J'aimerais leur dire :
- Pose ta tête là, laisse couler tes larmes sur ma joue.
Viens me faire écouter tes silences. Je te promets de ne rien dire, d'attendre de t'entendre et de te recevoir.
Laisse toi me dire des folies, des peurs, des douleurs. Laisse toi te donner.
J'aimerai ne servir qu'a leur prendre leur mal pour les revoir sourire. Les revoir me chanter " la maman des poisson" en imitant Boby.

rien

- Je t'aime.
- J'peux bien le dire puisque ça sert à rien.
- Et moi, qu'est ce que je dois répondre qui ne serve pas.
- Mais rien. C'est une simple information. Nous continuerons comme avant notre vie comme avant, avec les notres. Comme avant.
- Alors pourquoi tu me dis ça ?
- Pour que tu le saches, simplement. Enfin, pour que tu en soit sure parce que tu es bien plus maline que moi. Tu t'en doutais avant que je le comprenne moi même.
- Tu m'emmerdes. Je te le dis franchement, même si ça sert à rien.

Ne pleure pas

Ne pleure pas.
J'ai peur des gens qui pleurent.
Ils m'emmène avec eux dans leur sous-sol, dans leur détresse.
Elle écoutait des chansons à pleurer comme d'autres des chansons à boire.
Moi je buvais avec elle.
Nous avons tant pleuré, des malheurs de chacun.
Et nous les effacions à grands coups de carresses, à grands bains de plaisir.
Nous n'étions pas amants.
Etions nous des amis ?
Nous nous faisions l'amour pour oublier.
Comme l'on boit, comme l'on fume.
Pour endiguer le désarrois de l'autre.
Pour remonter à la surface de notre pauvre vie.
Repartir sous la pluie, repartir dans le vent de la réalité.
Des mois passaient sans un signe.
Puis un appel :
"Tu sais, il m'a menti"
"Viens me dire tout ça, je t'attend"

Ligne 1

Je montais à "Château de Vincennes", elle montait à "Nation". Nous changions tous les deux à "Concorde" direction "Porte de la Chapelle". Elle descendait à "Blanche" moi à "Lamarck-Caulaincourt". Pendant quinze jours, elle à lu "L'étranger" de Camus. C'était un livre de bibliothèque avec un numéro sur la tranche, B112. Après elle à lu "Dune" de Herbert, N27. La plus part du temps elle lisait Libé qu'elle tenait plié en quatre pour ne pas prendre trop de place. Au début, elle portait des lunettes rondes sans monture, très discrètes, avec les branches fines, rose pâle qui se perdaient dans des cheveux blonds, presque blancs. Après, elles ont disparues, je suppose, au profit de verres de contact qui laissaient libre l'ovale de son visage doux et pâle comme une toile de Quentin Delatour. Tout était clair chez elle. Ses cheveux, très long qu'elle faisait tenir sur sa nuque par une grosse barrette en écaille. Ses grands yeux d'un bleu lavé qui lui faisaient un étrange regard perpétuellement étonné. L'hiver, elle enfermait sa minceur dans long et étroit manteau noir. A la belle saison, rien ne changeait vraiment. Plus de manteau. De simples et longues chemises ne laissant rien paraître de sa féminité.
Je me souviens, aussi de ses doigts, effilés comme des lames manipulant les feuillets dans une danse fascinante. Des doigts sans bagues aux ongles vernis de rose pâle comme les lunettes.
Un jour, à "Bastille" là où le métro est aérien, un homme s'est assis en face d'elle. Idiot comme un homme, il lui a demandé si "les nouvelles étaient fraîches". Elle a posé sur lui son grand regard glacé.
Ce jour là, elle est descendu à "Saint-Paul".
A "Concorde", j'ai attendu l'arrivée du métro suivant.
Elle avait du prendre un taxi.

Allende

 

Lunettes de Salvador Allende

Ce soir, à la télé, ils nous parlent d'Allende. Je regarde ce visage et tout revient. Nous sommes en septembre 1973 . j' ai 23 ans. L'armée a reprit le pouvoir au Chili. Les info disent qu'Allende s'est suicidé dans le palais présidentiel. Personne ne le croit. Nous savons tous qu'il l'ont abattu comme un chien, aidé par la CIA.
J'entend la chanson de Julos et celle de Bertin.
Aujourd'hui la même rage monte en moi devant les mêmes images.
Au Chili on coupe les doigts du poète Jara.
Dans le reste du monde la vie continue
Brando refuse un Oscar.
Picasso meurt.
Libération naît.
Moi je pars à l'armée contraint et forcé.
Ce soir ma bouche sèche.
J'entend Léo crier "je suis d'une autre planète où les bouchers vendaient de l'homme à la criée"
Et nos petits politiciens pitoyablement piteux nous refourguent toujours la même soupe que nous buvons du bout des lèvres, certe, mais que nous buvons.
Ce soir je me couche honteux.

La cerise

La cerise était sur le gateau.
Un vrai gros gâteau blanc, surmonté d'une cerise confite, trônait au milieu de la grande table, toute blanche aussi. Derrière la table, derrière le gteau blanc, une mariée toute blanche avec les yeux tout rouges.
Deux enfants le menton posé sur la table, les mains derrière le dos, regardent le spectacle.
- Elle pleure, Emilie.
- Mais non,  elle est trop comtente que son grand frère lui a fait le discours.
- Sa maman aussi elle pleure.
- Elle est trop contente que sa fille elle se marie.
- Son papa, y pleure pas
- oh, lui , il a dit, "le Bernard c'est un con".
Elle a bien les yeux rouges, Emilie. Son père lui a dit, en montant vers le coeur, "Comprends pas que tu épouses ce con".
Depuis elle a froid, elle sourit mais elle a froid. Ses chaussures la serrent et cette satanée jarretière lui scie la cuisse.
- Monte la plus haut, il faut qu'ils en aient pour leurs sous, disait sa tante.
Debout derrière son gâteau, Emilie regarde la salle.
Elle voit son mari (ben oui, maintenant, c'est comme ça qu'il faut dire) qui chante avec ses copains du foot. On y parle de Nantes et de Montaigue.
Elle voit son père avec les anciens d'Algérie. Il a oté sa cravate et montre sa blessure en parlant de "félouses".
Elle voit sa soeur qui fait des "manières" à l'ainé des Picard. Ils boivent du mousseux et fument des Pall Mall.
Elle voit sa mère assise le bouquet à la main. Sa mère qui la regarde avec les yeux tout rouges.
- Oh non, maman, pas toi, arrête de me regarder avec cet air désespéré.
- Et toi, tu t'ais vu ?
- Mais moi j'ai froid, puis je suis fatiguée et puis Bernard m'agace. On dirait qu'il fait tout pour énerver papa.
- Oh ton père, quand il est avec ses copains, il ne voit plus rien. Regarde, il ne t'a même pas fait danser.
Les enfants en ont assez d'attendre le dessert. Il ont poussé leurs doigt dans la Crème chantilly et se sont disputé la cerise.
L'accordéon d'Albert nous grince "Destiné".
Emilie a froid dans sa robe de reine.

Je me soigne

 

                                                                               

Quand je suis malheureux
Je dis des choses étranges
Ce sont propos scabreux
N'écoute pas mon ange
Je m'en souviendrais bien
Si c'était si bien qu'ça
Je m'en souviendrais bien
L'amour ça s'oublie pas




J'ai piqué à Perret ces quelques verts. Ils traduisent assez bien mon état actuel. Mais, Je me soigne.