Marius n'avait pas douze ans quand il a vu Julie pour la première fois. Elle, elle en avait dix, il le sait. Elle mangeait, accroupie, des fraises dans le jardin de son grand-père. Ça lui faisait les lèvres rouges et des graines sur les joues.
- T'as des graines sur les joues.
- Toi, t'as du sang sur le mollet. T'en veux ? t'as mal ?
- Oui, la grosse, là, à ton genou. Ça, c'est les ronces du chemin de la rivière. Ma mère va gueuler.
- Pour la ronce ?
- Non pour la rivière, j'ai pas le droit, elle a peur que je me noie.
- Moi, c'est mon grand père, il est toujours là. Des fois, on croit mais il est là
- Il est où ?
- A coté de la pompe, devant le mazet, tu vois pas ?
- Merde, oui, et, il me dira rien ?
- Pff ! il sait qui tu es, il s'en fout
- Et toi tu sais aussi ?
- T'es Marius le fils des parigots, ceux qui louent chez Alberte.
Elle souriait, elle avait des graines sur les dents. La tête penchée, un œil fermé pour éviter le soleil et les cheveux presque blancs tout autour. Il la regardée, muet, avec une espèce de bulle de bonheur qu'il sentait là dans sa gorge. Il aurait aimé lui dire : je sens une bulle de bonheur qui monte dans ma gorge mais quand on n'a pas encore douze ans, on ne sait pas dire, on sent.
Peut-être qu'elle veut juste me donner des fraises et parler à quelqu'un. Peut-être qu'elle donne des fraises à tout le monde. Peut-être qu'elle à pas envie qu'on lui dise qu'elle est jolie même avec des graines sur les joues et les dents. Peut-être qu'elle me trouve bête à ne rien dire, avec mon mollet qui saigne et mon short de travers.
- T'en veux encore, tu veux voir ma cabane ?
- T'as une cabane ?
- Oui mais c'est un secret. Elle est pas en bois, c'est presque une grotte. C'est sous le rocher du bassin.
Elle courait devant lui entre les pieds de tomates. Son grand-père criait « doucement ».
- T'es le premier.
- Merci. C'est beau.
- Des fois j'ai le droit d'y dormir quand mon grand-père dort au mazet. Si tu veux, un jour, enfin un soir, t'y dormiras aussi.
- Tu crois que j'aurai le droit ?
- Ben oui, pourquoi ?
- Tu sais, ma mère, elle a peur de tout.
- Ce serait bien, on dirait qu'on est mariés, que ce serait notre maison de vacances
Elle lui racontait en sautillant d'impatience cette belle et incertaine soirée tandis qu'il échafaudait dans sa tête une stratégie pour contrarier les objections maternelles.
- Mais je ne peux pas te laisser aller dormir là-bas avec cette petite.
- Mais pourquoi ?
- Parce qu'on ne laisse pas dormir un garçon et une fillette ensembles.
- Mais c'est pour jouer.
- Ce n'est pas un jeu, çà, ce n'est pas un jeu.
- Et c'est quoi alors ?
- VA TE COUCHER
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