Maintenant que j'y pense...

je regardais ses lèvres

Elle lui parlait bas, collée contre son dos et lui emprisonnait le buste de ses bras. Il regardait la mer feignant l'indifférence. Elle lui murmurait des douceurs amoureuses. Un sourire léger venait les souligner.
Je regardais leur jeu. je regardais ses lèvres. j'imaginais son souffle sur le bord de l'oreille. j'imaginais ses mots.
Le garçon frémissait, et se laissait aller. Elle le recevait comme pour le bercer. Il ne demandait rien et se lover en elle. Ils étaient beaux, repus de bonheur à l'ombre des rochers. La mer venait lécher leurs jambes enlacées. Moi je ne lisais plus. J'avais perdu ma page. je regardais la vie qui vaut tous les romans et j'écoutais mon coeur, ce batteur de chamade, me dire souviens toi, tu la tenais serrée, tu lui disais des roses mais son rire, à lui seul, t'a cloué de chagrin.
Parfois les souvenirs  posent leurs manteau noir sur les plus belles choses. Il nous faut résister à la mélancolie, continuer à murmurer des roses.

La voiture est partie

La voiture est partie.
Les portières ont claqué sur un dernier fou rire. J'ai regardé s'éteindre lentement  le sourire sur son visage. Le trottoir nous gardé  encore un  peu de leur présence dans le bruit  du moteur qui s'éteignait aussi.
Quand les amis s'en vont je ne sais pas tenir le bonheur qu'il m'ont fait de passer par chez nous. La tristesse barbouille de son sale pinceau la place où je devrais tenir la joie de les avoir.
Dans la maison, les chats traversent le silence. Ils viennent se frotter à nos mains désoeuvrées. Elle range une chaise, redresse le bouquet, referme les albums. Je la vois s'agacer de ma mélancolie. Je voudrais mettre en mots ces moments pour lui dire "ce que je sais de moi se fait à la lecture du regard d'un amis". j'ai la peur des enfants qui, ne le voyant plus, pensent que l'être cher les a abandonnés. Je n'ai pas effacé toutes mes cicatrices. J'aime et ne sais jamais de qui je suis aimé.

Elle est partie se coucher

Ce soir, elle est partie se coucher en m'embrassant sur le front. Elle avait déjà vu le film. Le sommeil était le plus fort. Sa main est passée doucement le long de mon épaule, a fait une pause sur ma nuque et elle m'a embrassé sur le front. Le bout de son index a terminé le chemin  sur ma deuxième épaule. Je ne sais pas traduire ce que j'ai ressenti. Était-ce un beau geste de tendresse entretenant l'intime chaleur de cette fin de dimanche ? Était-ce le seul élan que permettait la lassitude ?
-"Bonsoir, ma chérie"
-"Bonsoir"
Tout va bien.

L'habitude nous joue des tours
Nous qui croyons que notre amour
Avait une santé de fer
Dès que séchera la rosée
La rouille se sera posée
Sur la médaille et son revers

M. Leforestier

Ce soir

Ce soir, je suis passé devant la télé au moment où Galabru disait "Le bonheur c'est quand on est pas malheureux".
Je ne sais pas s'il a raison mais j'aime bien cette phrase.
Je me regarde, loin du miroir, pour mieux voir l'intérieur.
Aujourd'hui, là, maintenant, est-ce que je suis malheureux ?
Non.
Alors c'est peut être que je suis heureux sans le voir.
Et je rate ça, moi ?
Ma chérie, réveilles toi, on ne voit plus le bonheur....

Dernier week-end.

Dernier week-end avant la reprise.
Comme "dernière station avant l'autoroute". Aprés ça roule. On regarde devant, derrière et on avance.
C'est pas vrais. Moi, je suis toujours en train de regarder sur le côté. Les fleurs, les gens, les bois. Tout ce qui est beau. je n'arrive pas à prendre l'autoroute.
Celui de la vie qui permet d'aller loin, vite, le premier, ou dans les premiers. Moi, il faut que je flane ,que je cause, que je ri. Il faut que j'aime aussi. Ca prend du temps tout ça. Les autres courent. Ils ne m'attendent pas. Enfin, il y en a qui m'attendent. alors on fait le chemin ensemble. Pas la route, le chemin. On ira peut être moins loin mais on aura pris le temps de cueillir les petites fleurs qu'on ne voit pas de l'autoroute et qu'on appelle le bonheur.
C'est pas de la naïveté, vous savez, c'est un choix, le mien et celui de beaucoup d'autres. Prendre le temps d'être avant le temps d'avoir.

Il n'était pas rentré de sa partie de boules

Nous sommes passé les voir, hier soir, dans leur petit village.
Il n'était pas rentré de sa partie de boules. Elle avait passé l'après midi  dans un fauteuil de la terrasse à guetter les passants pour se casser la solitude.
On a sorti le whisky et les biscuit salés. Elle a dit "juste un fond, avec de l'eau gazeuse". Moi j'ai dit "Non merci, je conduis, ou alors du coca".
Elle nous raconté ses dernières bêtises,à lui, et puis aussi le repas de dimanche, mais ça on le savait déjà. "Ah oui, c'est vrai, je crois que je perds la tête, et lui,alors, si vous saviez..."
Il est arrivé. Il avait ramassé des amandes.
Du garage, il nous a remonté de l'engrais pour notre vigne vierge.
Il m'a dit "tu aime le maquereau au vin blanc ? je vais te le faire à ma façon"
On a  mis  quatre assiettes sur  la table  en plastique. Il m'a servi du Merlot dans un verre ballon. "Non merci, je conduit". Il n'a pas entendu. "Tu va voir ,il est bon... Pas cher, trois euros.""C'est vrais, il est bon".
Elle a dit "moi, le vin..." Il a souri. Elle a dit "qu'est ce  qu'il y a ?"  Il a dit  "riennn". Elle a fait pfff en haussant les épaules. Le chien a attrapé une croûte de fromage en plein vol. Nous nous sommes regardés en souriant.
A la fin du repas, il a plu, un peu. Ça n'a pas traversé la tonnelle mais l'odeur de la terre mouillée est monté jusqu'à nous.
Nous somme rentré sur la route mouillée "fais attention, sa glisse. Tu veux que je conduise ? T'a pas trop bu ?" "Mais non, ça va. Dans une heure, on est couchés.

Ma mère est parti.

Elle est parti.
J'ai perdu ma mère depuis que sa raison l'a quittée. Je ne reconnais plus dans cette petite dame aux yeux bleus perçant qui cherchent mon prénom, la belle et rassurante présence où je venez me ressourcer.
Et ces conversations presque surréalistes, sans dialogue. Et ses questions absurdes. Et mes réponses qui ne veulent pas la bousculer. Ces pauvres temps passés  à chercher un petit bout de sa mère derrière la maladie. Refuser de ne plus être son enfant.
Aujourd'hui elle parle de moi au passé, il y tellement longtemps que je suis mort que je n'ai pas pu me connaître. J'étais trop petit. je dis que j'aurais bien aimé le connaître, ce fils perdu. j'attends les commentaires. Je vais peut être savoir se qu'il reste de moi mais non, le repas n'arrive pas, le radiateur est froid. Quoi, le mois d'août ?
je repars, la main de ma chérie m'emmène silencieusement. je suis triste. j'ai honte d'être triste, de parler de ma tristesse nombriliste. je me force, je me brutalise pour réinvestir ma cinquantaine.
Le téléphone sonne, mon portable :
- "papa, peux-tu me donner ton avis ?"
-"je t'écoute, mon grand."

j' en reviens.

j'en reviens. C'était bien, bien sûr, c'était bien.

Ma chérie, les amis , les vrais, ceux du premier cercle, ceux avec qui l'on pleure quand ils sont malheureux, la moto, la mer, le soleil, et le plaisir de tout ça ensemble.

Se rassasier de plaisir. Surtout ne pas s'habituer au plaisir, au bonheur. S'aiguillonner les uns les autres quand on commence à trouver ça normal. Dire " je suis content", "je suis bien".

En faire rire l'entourage de nous voir danser comme un enfant.

J'en reviens avec du carburant pour longtemps. j'en donne, c'est gratos.