Elle était venue, du fond de sa cuisine, poser trois verres sur la toile cirée. Trois verres de tous les jours. Ceux avec la raie qui sert à mesurer les boissons des petits.
- j'en veux beaucoup.
- Jusqu'à la raie, après ,c'est trop et ça t'énerve.
Le patron, elle l'appelait le patron, était assis au bout. Il avait posé son béret sur la chaise du chat.
- C'est la patronne, il l'appelait la patronne, qui veut le vendre, ce buffet. Moi je le foutrais bien au feu.
Elle le regardait en retrait, debout, appuyée au chambranle de la porte.
- Il a du sentiment pour rien. Quand ça sert plus, y jette. Comme le chien, tenez, y chassait plus, il a pris une balle.
Nous les écoutions en souriant. Ce n'était pas une vrai dispute. C'était leur manière à eux de ne pas trop nous dire leurs secrets.
Le patron regardait le buffet en se grattant le crane blanc où se collaient quelques rares cheveux.
- Et combien vous donnez pour cet enquestre ?
- Trois cent euro, enfin deux mille francs, deux cent mille ancien francs.
D'une seule main il attrapa les trois verre et pour couper le silence de sa réflèxion il dit,
- Nous, on n'a pas d'apéritif, on n'a que du vin mais c'est le notre. Celui que nous faisons. Vous pouvez en boire, il est pas trafiqué.
Les verres encore vides portaient les reflets violine des précédentes dégustations. Ils n'étaient pas vraiment sales, seulement teintés par la rudesse du breuvage.
Nous avons poliment regardé nos verres se remplir en tentant un geste de la main pour limiter la quantité.
- C'est que nous avons de la route.
- Il n'est pas fort.
- Deux cent mille, dit-il en coupant le silence des premières gorgées. Qu'est ce t'en dit, la patronne?
- J'en dis que je le tiens de ma grand-mère, c'est dire s'il est vieux, alors je veux pas le donner.
Le patron haussa les épaule.
- je crois qu'il vous faudra revenir, elle y tient trop à son buffet.
Nous nous sommes levés, le vin finissait sa descente volcanique dans notre poitrine mais nous ne sentions presque rien.
Nous avions, tout à coup, un peu honte d'être là. Nous étions arrivés comme chez l'antiquaire, avec le secret espoir de conclure une affaire et de repartir fiers avec ce beau buffet qui irait si bien chez nous, dans l'entrée.
Nous avions oublier que dans ces vielles planches dormaient des tombereaux de souvenir d'enfance. La patronne, figée au bord de sa cuisine, ne pouvait se résoudre à nous voir emporter avec insouciance quatre vingt ans de linge rangé dans l'odeur de lavande, quatre vingt ans de mouchoirs brodés, de tiroir aux merveilles, de boites à photos, de rameaux de laurier, de robes de bathème, de mariage,de deuil. Quatre vingt ans d'enfance. Celle qui reste gravée dans le bois des buffets.
Une petite fille criait dans la cuisine " Maman, ils vont pas t'emporter".
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